Imaginez un chirurgien à Paris opérant un patient en Guyane, ou un spécialiste new-yorkais réalisant une greffe de foie sur un patient en plein désert du Nevada. Ce qui relevait autrefois de la science-fiction est en train de devenir une réalité médicale tangible grâce à la 5G.
Une étude récente publiée dans The International Journal of Medical Robotics and Computer Assisted Surgery vient de prouver qu’il est possible de réaliser des opérations chirurgicales complexes sur plus de 5 000 km de distance, en utilisant un robot et une connexion ultra-rapide.
Opérer à 5 000 km : un pari réussi
C’est dans un désert médical aux confins de la Chine que s’est joué un exploit technologique et chirurgical. D’un côté, Hangzhou, ville ultramoderne sur la côte Est, dotée de l’un des centres hospitaliers les plus avancés du pays. De l’autre, Alaer, un établissement hospitalier situé dans la région du Xinjiang, à près de 5 000 km de là. Entre les deux : aucun chirurgien en mouvement, mais un réseau 5G tendu comme un fil de soie entre deux mondes.
Ce qu’il s’est passé ici est bien plus qu’une démonstration de force technologique. C’est une première mondiale dans le domaine de la chirurgie générale robot-assistée sur de telles distances. Grâce au Toumai four-arm robot, un robot chirurgical développé par la société Shanghai MicroPort MedBot, cinq interventions complexes ont été réalisées à distance, dans des conditions de sécurité équivalentes à celles d’un bloc opératoire traditionnel.
La configuration était millimétrée. Le robot était installé à Alaer, au chevet des patients. Le chirurgien principal, lui, était assis à une console de contrôle à Hangzhou. Grâce à une connexion 5G à très haut débit et à faible latence, ses gestes ont été instantanément traduits en mouvements robotiques, avec une fluidité telle que la latence médiane mesurée n’a pas dépassé 73 millisecondes. Autant dire, imperceptible pour un humain. Aucun décalage, aucune perte de données, aucune rupture de signal.
Les cinq interventions réalisées étaient loin d’être anodines. Trois patients ont subi une cholecystectomie (ablation de la vésicule biliaire), une opération fréquente mais qui exige précision et minutie. Un autre patient a bénéficié de l’exérèse d’un hémangiome hépatique, une tumeur bénigne du foie, et un dernier a subi une pancréatectomie distale avec préservation de la rate, une procédure délicate réservée à des mains aguerries.
Et ces mains, bien qu’éloignées de plusieurs fuseaux horaires, ont su faire preuve d’une précision chirurgicale exemplaire. Aucune conversion vers une chirurgie conventionnelle n’a été nécessaire. Aucune complication majeure. Aucune interruption du réseau. Même l’unique incident — une panne de l’instrument ultrasonique — a été résolu en quelques minutes par l’équipe locale, prouvant que la redondance du dispositif est bien pensée.
Cette série de cinq opérations a permis de franchir une frontière invisible, celle qui séparait encore la chirurgie de précision des zones géographiques éloignées. Et elle l’a fait sans compromis sur la sécurité, la qualité des soins ou la coordination des équipes.
Finies les inégalités d’accès aux soins
C’est peut-être là le plus gros changement qu’apporte cette avancée. Aujourd’hui, si vous habitez à Paris, New York ou Shanghai, vous avez accès aux meilleurs spécialistes. Mais si vous êtes en zone rurale, dans un désert médical ou sur une base militaire en mission, la donne est bien différente.
Avec la 5G, plus besoin de déplacer les chirurgiens, c’est leur expertise qui vient jusqu’aux patients. Un spécialiste en transplantation hépatique pourrait opérer un patient en pleine brousse africaine. Un neurochirurgien basé à Londres pourrait traiter une tumeur cérébrale en Antarctique. Les distances ne sont plus une barrière.
Une précision chirurgicale décuplée
La chirurgie robotisée à distance évoque souvent, dans l’imaginaire collectif, une interface futuriste digne d’un film de science-fiction. Mais derrière la promesse d’une main robotique opérant à l’autre bout du monde, il y a une réalité technique redoutablement exigeante : la latence. Un micro-décalage entre le geste du chirurgien et la réponse du robot peut suffire à transformer une prouesse en catastrophe.
Et pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans cette étude, la latence médiane était de seulement 73 millisecondes, un délai quasi imperceptible pour un opérateur entraîné. À titre de comparaison, la moyenne des clignements d’œil humains oscille entre 100 et 150 ms. C’est dire à quel point la transmission était fluide, constante, et suffisamment stable pour réaliser des gestes chirurgicaux complexes comme une pancréatectomie.
Mais pour bien comprendre le bond technologique accompli, il faut remonter à une date clé :
2001. L’opération « Lindbergh » entre New York et Strasbourg. C’était la toute première téléchirurgie transatlantique, réalisée à l’aide du robot ZEUS. Le patient était en France, le chirurgien aux États-Unis, reliés par une connexion hautement sécurisée via fibre optique transatlantique. Résultat : un temps de latence de 155 millisecondes. À l’époque, c’était une révolution. Mais ce délai, bien qu’acceptable pour certaines manœuvres, restait trop long pour garantir une sécurité optimale dans les gestes les plus fins.
Depuis, des progrès significatifs ont été réalisés. En 2018, les premières expériences animales en Chine avec des robots chirurgicaux connectés en 5G affichaient des délais de 150 à 250 ms. Prometteur, mais encore instable. En 2021, une autre équipe a réussi à descendre en dessous de 100 ms sur des distances de quelques centaines de kilomètres. Mais personne n’avait encore prouvé que l’on pouvait atteindre cette stabilité à plus de 5 000 km, sur un réseau commercial.
C’est là tout l’intérêt de l’étude réalisée à Hangzhou et Alaer : elle prouve que la distance n’est plus le facteur limitant, à condition d’avoir une infrastructure réseau ultra-performante, comme celle de la 5G de China Telecom couplée à un backup fibre optique. Le robot Toumai n’a pas seulement reçu les ordres du chirurgien en temps réel — il y a répondu avec une fluidité telle que la machine semblait presque anticiper.
Les défis à relever
Tout ça semble idyllique, mais avant que ces opérations ne deviennent la norme, il y a encore quelques barrières à lever.
- Une technologie ultra-dépendante de l’infrastructure 5G
La 5G offre des performances exceptionnelles, mais elle doit être disponible partout et être fiable à 100%. Imaginez une intervention d’urgence dans une zone où la couverture réseau est médiocre... Pas idéal.
- Accepter qu’un robot nous opère à distance
Faire confiance à un chirurgien qui n’est pas physiquement dans la salle, c’est un changement de paradigme majeur. Les patients (et même certains médecins) peuvent encore être réticents à l’idée de confier leur santé à une machine contrôlée à distance. Il va falloir du temps avant que cela devienne une norme acceptée.
- Réglementation et responsabilité
Si quelque chose tourne mal, qui est responsable ? Le chirurgien distant ? L’hôpital local ? Le fabricant du robot ? Aujourd’hui, les cadres législatifs sont encore flous sur ces questions.
Vers une chirurgie sans frontière
On est encore aux balbutiements, mais l’avenir de la chirurgie pourrait bien ressembler à cela :
Des hôpitaux de campagne connectés pour des interventions d’urgence.
Des astronautes opérés depuis la Terre lors de missions spatiales de longue durée.
Une expertise chirurgicale mondiale disponible partout, sans barrières géographiques.
Une formation médicale ultra-immersive grâce à la téléchirurgie en direct.
La technologie est prête. Maintenant, il faut que les infrastructures, les réglementations et les mentalités suivent.
Sources :